correspondant agoravox

jeudi 25 juillet 2013

LES ETRANGES RESSEMBLANCES ENTRE GATSBY LE MAGNIFIQUE ET LE GRAND MEAULNES

Une impression de "déjà connu".

J'ai pu voir cette année la nouvelle adaptation cinématographique du roman de F.Scott Fitzgerald , Gatsby le magnifique , avec Di Caprio dans le rôle de Gatsby. Au fil de la projection , une étrange impression de "déjà vu" ou de "déjà connu" s'est emparée de moi..."Mais c'est le Grand Meaulnes !" réalisai-je tout à coup , mi incrédule et mi amusé...

Cette idée par la suite m'est sortie de l'esprit , et je me suis employé surtout à lire le livre de l'auteur américain pour juger de la fidélité de son adaptation au cinéma. Fidélité dont j'ai pu constater la réalité.

Le style est très différent de celui d'Alain-Fournier , et du roman se dégage une cohérence particulière : il apparaît comme une bonne traduction de l'atmosphère des années folles en Amérique.

Ressemblances troublantes.

Quelque temps plus tard , cette idée d'une parenté entre les deux œuvres a recommencé à me trotter dans la tête , et plus j'y réfléchissais , plus l'évidence de cette parenté s'imposait.

Tout d'abord une remarque : le titre américain du livre de Scott Fitzgerald est "The Great Gatsby" ,le décalque parfait du titre du roman français!

Chronologiquement , S.F a très bien pu connaître le Grand Meaulnes , paru en 1913 : Gatsby date de 1925.

La bonne connaissance que j'ai du roman d'Alain-Fournier , que j'ai eu l'occasion d'étudier de près en tant qu'enseignant  à l'occasion de projets scolaires , me permet de  cerner plus précisément  les points communs.

La narration par un personnage masculin  fasciné par un autre personnage masculin hors normes , assez imprévisible, et  auréolé de mystère est le premier trait commun le plus évident des deux œuvres; dans les deux cas ce narrateur n'est que le spectateur de l'histoire d'amour impossible de deux êtres , ne s'impliquant personnellement que comme entremetteur (sollicité dans Gatsby  ,volontaire dans Le Grand Meaulnes): dans les deux cas , c'est grâce à l'aide du narrateur que les "amants" se retrouvent.
Nick Callaway est bien le double de François Seurel , avec une transposition d'âge et de contexte.
Comme dans le grand Meaulnes des phases d' amitié ouverte et confiante , et d'autres où le personnage admiré prend ses distances , des moments de confidence aussi (notamment à la fin) , rythment la relation.

Rien de plus "couru" certes qu'une histoire d'amour impossible.
Néanmoins , concernant cet élément de l'intrigue, des ressemblances troublantes existent  là encore entre les deux œuvres : l'idée d 'une jeune fille idéalisée perdue ( Daisy/Yvonne de Galais), puis recherchée , et enfin retrouvée bien plus tard est commune aux deux romans.

Evidemment , l'explication de  la séparation initiale par la différence sociale , et la présence du thème de l'argent qui intervient lourdement dans l'œuvre (l'idée qu'il doit faire fortune pour se présenter devant elle et la mériter) sont totalement absents du roman d'Alain-Fournier : Fitzgerald "américanise" l'intrigue en quelque sorte.

La luxueuse demeure de Long Island où le mystérieux Gatsby -que beaucoup de ses invités ne connaissent pas - laisse entrer qui veut pour participer à de brillantes fêtes n'est -elle pas le pendant du "domaine mystérieux" du GM qui accueille tous les gens du pays , où les enfants sont rois , le temps d'un noce dont on ne connait les protagonistes que tardivement ?
Et puis , quand tout tourne mal , la fête prend fin dans l'amertume...

Fitzgerald transpose , mais les fils principaux de son intrigue sont bien les mêmes que chez Alain-Fournier.

 
Alain-Fournier à 17 ans , à l'âge du grand Meaulnes.
 Quoi d'autre?

Les retrouvailles dans les deux romans se ressemblent assez : on dirait que Gatsby comme Meaulnes fait tout pour les gâcher , pour se persuader que rien n'est plus possible ; et pourtant, dans un deuxième temps , il se reprend et l'horizon s'ouvre.

La présence d'une intrigue amoureuse annexe , sur fond de trahison : Tom , le mari de Daisy , a une maîtresse (à demi tolérée d'ailleurs) ; dans le GM c'est Meaulnes qui en désespoir de cause a
une liaison avec Valentine , qui s'avère être la fiancée perdue d'un autre personnage, Frantz de Galais. Dans les deux cas , les situations seront source de souffrance et de drame. Et cette intrigue annexe entraîne dans les deux cas l'impossibilité de l'amour : dans Gatsby la mort de la maîtresse de Tom va entraîner l'assassinat de Gatsby , dans le GM , Meaulnes à peine marié part à la recherche de Valentine pour la ramener à Frantz : à son retour Yvonne est morte.

Le caractère fantasque de Gatsby , qui ouvre sa maison à qui veut et gaspille sa fortune dans de folles fêtes, qui remplit de fleurs la maison du narrateur où se dérouleront les retrouvailles, qui a des fréquentations un peu douteuses, renvoie d'ailleurs à la personnalité de Frantz de Galais dans le Grand Meaulnes.

 
                                                                           Francis Scott Fitzgerald

L'auteur américain paraît avoir davantage inventé pour la fin de l'intrigue  , avec la mort de la maîtresse de Tom écrasée  involontairement par Daisy au volant de la voiture dans laquelle elle part avec Gatsby ,suivie de la vengeance du mari garagiste, attisée par Tom, qui finit par tuer Gatsby.

Dans les deux cas l'amour reste impossible , chez Fitzgerald par l'assassinat de Gatsby et le repliement de Daisy sur sa famille (elle a une petite fille, comme Yvonne de Galais) , chez Alain-Fournier par la mort d'Yvonne en couches.

Autre point commun: des récits à péripéties plutôt complexes , pour ne pas dire rocambolesques , remarquons -le!

  En conclusion , tout se passe comme si pour construire son roman Fitzgerald avait largement emprunté à l'intrigue du grand Meaulnes : car sur ce plan , notre petite comparaison semble indiquer qu' il a peu inventé ! Les traits de caractère de ses principaux personnages , leur relation même, peuvent paraître aussi très inspirés par le roman  français.

Certes tout est transposé tant en ce qui concerne l'âge des personnages que le lieu et l'époque  , le style , je l'ai dit, est différent .Et puis il y a toute la "chair"du roman, originale et bien américaine!
Le terme de "plagiat" est sans doute excessif. Mais les emprunts me paraissent manifestes.

JMS

ps : un petit tour sur internet a confirmé mes doutes. je suis tombé par exemple sur un texte qui  affirme comme une certitude que Scott Fitzgerald  "est parti du Grand Meaulnes".
Les confirmations éventuelles de spécialistes de l'œuvre restent à trouver.

JMS

Documents :

* Extrait d'un article de Julian Barnes ,du Guardian , qui fait le rapprochement entre les œuvres:

"There is a self-awareness, too, of fiction being fiction: thus Meaulnes is like "the hero of a novel" to the narrator François Seurel; while both search for "the [secret] passage that they write about in books". And the novel is not just fiction-soaked but fiction-predicting: at least, it seemed quite evident to me that Seurel must have been the precursor for Nick Carraway, the narrator of The Great Gatsby. Both are shadowy, rather passive figures in thrall to an enchanted world, stay-at-homes who admire the otherness and daring of the adventurer; both press their noses to the shop-window (as we, the readers, do), while aware that the glass is unbreakable. Surely Fitzgerald, in Paris in the 1920s, would have read Le Grand Meaulnes (and even borrowed the template of its title)? But I haven't been able to substantiate this connection: the nearest proof-by-association being the fact that the first translator of Fournier's novel was Harry Crosby, the millionaire expatriate who moved in the same Parisian circles as Fitzgerald."

Il note une filiation entre François Seurel et Nick Carraway , et souligne le fait que le premier traducteur  du GM était un proche de Scott Fitzgerald .

* Trouvé un article de l'Economist  sur le Grand Meaulnes où le journaliste rappelle l'admiration que de grands écrivains américains  ont eu pour ce livre avant d'évoquer  l'avis de plusieurs critiques sur la filiation entre le GM et Gatsby :

"Henri Miller venerated its hero; F.Scott Fitzgerald borrowed its title "The Great Gatsby" (and some critics think Fournier's main characters were models for Nick Carraway,and his loverlon pal").

Le journaliste illustre son article d'une photo du film "Gatsby" avec cette légende :"Gatsby ,the latest descendant of Meaulnes"

*Dans le John Baker's blog on trouve la précision suivante :

"Le Grand Meaulnes, as a title is almost exactly equivalent to Scott-Fitzgerald’s The Great Gatsby. And the similarities between these two novels don’t end there. In both cases there is the enchanted estate, the guests, the festivities, and perhaps more telling, the green lanterns. In both novels the narrator is an habitual onlooker and the hero never less than charismatic. Fitzgerald was, of course, in France (he wrote The Great Gatsby during the summer and autumn in Valescure near St. Raphael), and was obviously influenced by Alain-Fournier’s work."

Influencé , ou un peu plus?

etc...

A DECOUVRIR AUSSI DANS LA BLOGAZETTE:

* CENTENAIRE du GRAND MEAULNES d'ALAIN-FOURNIER : une  intéressante conférence à Paris du Pr Brunel.+ de 545 v http://jmsattoblogazettedesulis.blogspot.com/2014/01/centenaire-du-grand-meaulnes-dalain.html

* Centenaire de la mort d'Alain-Fournier : à la recherche de l'auteur du Grand Meaulnes. .
http://jmsattoblogazettedesulis.blogspot.com/2015/01/centenaire-de-la-mort-dalain-fournier.html

* Retour "au pays du Grand Meaulnes"à Epineuil-le-Fleuriel: bonheur et tristesse...
http://jmsattoblogazettedesulis.blogspot.com/2012/08/retour-au-pays-du-grand-meaulnesa.html


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire