correspondant agoravox

dimanche 11 janvier 2015

Centenaire de la mort d'Alain-Fournier : à la recherche de l'auteur du Grand Meaulnes. .


Un destin littéraire brisé par la guerre de 14 .

Le 22 septembre 1914, le lieutenant d'infanterie Henri-Alban Fournier, alias Alain-Fournier, disparaissait à l'âge de 27 ans dans le bois de Saint-Rémy, sur les Hauts-de-Meuse, avec son capitaine et plusieurs hommes. On sait que ses restes n'ont été découverts dans une fosse commune creusée par les allemands, avec ceux d'une vingtaine d'hommes, qu'en mai 1991!
Ainsi la littérature à travers lui , mais aussi le cas d'autres écrivains comme Louis Pergaud ou encore son ami Charles Péguy, payait un lourd tribut à la "grande guerre"; ainsi des destins littéraires étaient-ils brutalement interrompus. Alain-Fournier, pour sa part, apparaît souvent de ce fait comme l'auteur d'une seule œuvre, son roman Le Grand Meaulnes, qui connut un très grand succès lors de sa parution en 1913 après avoir manqué de peu le prix Goncourt. Le roman qu'il préparait, Colombe Blanchet, ainsi qu'une pièce de théâtre qu'il avait entamée, n'aboutiraient donc jamais.


                                                        Photo : Alain-Fournier en 1913.

Le centième anniversaire de la mort de l'écrivain est sans doute l'occasion de lui rendre hommage, et plus encore peut-être, d'aller à sa recherche : qui était Alain-Fournier ? Grâce aux bons soins notamment de son neveu Alain Rivière, longtemps secrétaire de l'association des Amis d'Alain-Fournier et de Jacques Rivière, récemment décédé, qui a consacré sa vie à servir la mémoire de son oncle, et de son père, influent directeur de la NRF en son temps, de nombreux ouvrages ont été publiés, dont diverses correspondances de l'auteur avec ses proches ou ses amis, qui permettent de mieux appréhender  la personnalité particulière du jeune écrivain , l'extrême sensibilité de cette âme "éprise de pureté".
Mais si l'on cherche à connaître la personnalité d' Alain-Fournier, c'est d'abord dans son unique roman achevé, Le Grand Meaulnes, qu'on la trouvera, tant il a mis de lui-même dans son œuvre.

Un roman imprégné de la vie et de l'âme de son auteur.

Le Grand Meaulnes est tout sauf une construction purement imaginaire et impersonnelle, voire artificielle; l'histoire puise constamment aux sources de l'expérience vécue de l'auteur, elle émane aussi de ses propres tourments, exprime sa sensibilité profonde; certes il a fallu organiser une intrigue, inventer ce personnage de Meaulnes, un grand garçon de 17 ans, confié un jour aux parents instituteurs de François Seurel, le narrateur, et dont l'arrivée allait bouleverser la vie trop tranquille de ce dernier. Bien sûr , il a fallu forger quelques péripéties, comme la découverte par Meaulnes du "domaine mystérieux", ou encore le départ de Meaulnes à peine marié avec Yvonne de Galais, celle qu'il avait tant cherchée, pour respecter un serment fait à Frantz , le frère d'Yvonne ; ou, plus tard, l'irruption de Frantz et de son ami bohémien dans le village et dans l'école, et pour finir la mort d'Yvonne en couches, après avoir mis au monde une petite fille - cette mort scellant définitivement l'impossibilité du bonheur.




                             Photo : Alain-Fournier à 17 ans , alors élève au lycée Lakanal;

Mais en même temps "tout est vrai dans le Grand Meaulnes", comme aimait à  dire Alain Rivière (1). Et d'abord l'intrigue principale, la rencontre par un garçon de 17 ans d'une jeune fille idéale (ou idéalisée?), les longues et vaines recherches pour la retrouver, la douleur et le désespoir qui s'ensuivent, ce n'est pas , disions nous,  une construction imaginaire pour faire rêver et émouvoir des lecteurs épris de romantisme, c'est du vécu transposé , c'est l'expression d'une souffrance et d'un désespoir, et aussi d'une obsession, qui ont été ceux de l'auteur lui-même. Et la réalité dépasse même la fiction, si l'on songe que la souffrance du jeune Henri Fournier , après sa rencontre avec Yvonne de Quiévrecourt à Paris, au sortir du Grand Palais, n'a pas duré quelques mois comme celle de son personnage, mais plusieurs années : il a 17 ans lorsqu'il la rencontre en  1905 , il ne la revoit qu'une fois en juin 1905 , et c'est pour l'entendre demander qu'ils se séparent; il apprendra en 1907 qu'elle a épousé un officier de marine , et comprend alors avec désespoir qu'elle est perdue pour lui ; en 1909 , il pense toujours à elle et est informé qu'elle a quitté Paris...Il ne la reverra  à Rochefort, plusieurs fois, qu' en 1913. Et ce n'est qu'à cette époque qu'il décide de tourner la page. C'est donc bien toute la sensibilité d'Alain-Fournier, sa vision de la femme aussi,  qui s'expriment à travers le roman. Son amour pour ses parents, qui servent de modèle à M. Seurel et à Millie, les instituteurs de Sainte Agathe , son attachement au pays de son enfance , le Bourbonnais d'Epineuil le Fleuriel (modèle de Sainte Agathe dans le livre), ou la Sologne , pays de la famille de sa mère, transparaissent aussi, notamment, dans les nostalgiques et émouvantes premières pages du roman. Le jeune Fournier a vécu une enfance environnée de châteaux, aussi bien du côté d'Epineuil

Photo / Yvonne de Quiévrecourt
 (le château de Cornançais où une fête brillante aurait eu lieu -les gens de la région y étaient invités - est peut-être le modèle du "domaine perdu"), qu'en Sologne ( château de Nançay, château de Béthune  et de Loroy autour de la Chapelle d'Angillon où il est né et où vivaient ses grands parents maternels), et la vision d'un château est pour lui source d''émotion : émotion qu'il ressentira intensément , plus tard, alors qu'il est élève du lycée Lakanal, lorsqu'il verra s'élever devant lui la silhouette du château de Sceaux tout proche ! Alain Rivière aimait aussi à souligner que chacun  des personnages masculins du roman représente  une facette de la personnalité de l'auteur: François Seurel, c'est son côté enfant sage, bon élève ; Meaulnes , c'est le goût de l'aventure du jeune Henri, tenté un temps par l'Ecole navale;  Frantz de Galais même, exprime le côté chef de bande et farceur de l'étudiant de Lakanal qui avait fomenté une révolte contre le système de bizutage de la khâgne, ou s'amusait à déranger les affaires de son trop organisé ami Jacques Rivière.
     Lire Le Grand Meaulnes, c'est donc bien aussi découvrir son auteur.

D'AUTRES LIVRES pour aller plus loin.

De nombreuses publications , si l'on souhaite aller plus loin dans la connaissance de la personnalité attachante de l'auteur et de son univers, sont à disposition. Sous le titre MIRACLES (Livre de poche) ont été réunis des textes divers d'Alain-Fournier - contes, poèmes, articles parus dans des journaux ; on y trouvera en préambule un texte précieux et émouvant de Jacques Rivière sur l'auteur du Grand Meaulnes, son ami, qui éclaire le lecteur sur plusieurs aspects de sa personnalité, ou encore sur ses admirations littéraires (Jules Laforgue, Francis Jammes, Gide, Claudel, Péguy qui deviendra lui aussi son ami...) ou artistiques (Maurice Denis, les Préraphaélites découverts lors d'un voyage en Angleterre...).


                                                        Photo: Jacques Rivière en 1908.

Les ébauches de son 2e roman, Colombe Blanchet, ont été également publiées (Le cherche midi):il est intéressant d'y déceler des constantes sur le plan de la création littéraire mais aussi des valeurs qui lui tiennent à cœur par rapport au Grand Meaulnes. Une étude de Fausta Garavini en postface y aide. L'ouvrage de Jean-Christian Petitfils Le frémissement de la grâce (Livre de poche)s'efforce de retracer la lente maturation qui transformera la rencontre avec Yvonne de Quiévrecourt en 1905 en une œuvre littéraire en 1913. On y trouve de nombreux indices de la constance, à travers le temps, de son attachement à la jeune femme rencontrée à 17 ans. En août 1912, il lui écrit par exemple ; "Il y a plus de sept ans que je vous ai perdue (...) , Depuis ce temps, je n'ai pas cessé de vous chercher." En 1913, alors même qu'il est engagé dans une liaison avec l'actrice Madame Simone, il écrit encore à Yvonne: "Il y a un seul être au monde avec qui j'eusse aimé passer ma vie. J'ai revu le visage de la Beauté, de la Pureté, et de la Grâce."(Il l'avait revue à Rochefort).

Mais le mieux est sans doute, et le plus émouvant, de revisiter les diverses correspondances d'Alain-Fournier, publiées elles aussi : sa correspondance avec son ami Jacques Rivière d'abord, éditée sous le titre Une amitié d'autrefois (Folio): on y découvre deux jeunes gens partageant leurs enthousiasmes littéraires et  artistiques, férus d'opéra  (Pelleas et Mélisande de Debussy, ou Boris Goudounov de Moussorgsky par exemple)...



On retrouve le même type d'échanges dans sa correspondance avec Réné Bichet, autre camarade de Lakanal, Lettres au petit B...(Fayard). Cet ami, qui se pique de poésie, décédera prématurément. Signalons aussi sa correspondance avec Charles Péguy, actuellement épuisée. Enfin, ses Lettres à sa famille et quelques autres (Fayard), plus ancrées dans le quotidien (en ce qui concerne la partie familiale) , nous permettent de suivre à travers le temps l'évolution d'une personnalité, depuis l'enfant studieux , un peu scolaire, fier des bonnes notes obtenues, jusqu'au jeune homme avec ses préoccupations. La deuxième partie nous fait découvrir des lettres à des écrivains ou personnalités  ; nous comprenons mieux son statut dans l'époque. Contrairement aux films et photographies du début du XXe siècle, qui à travers les costumes ou la technologie datés, nous donnent une impression d'éloignement, de temps révolus et un peu étrangers à nous mêmes, la correspondance nous fait entrer de plein pied en quelque sorte dans l'âme de ses auteurs, car l'écriture de ceux qui s'expriment et en particulier du jeune Fournier n'a pas vieilli, elle ; nous n'avons pas de difficulté à vivre comme au présent leurs échanges ;  nous sommes d'autant plus émus.

Mais nous ne pouvons pas clore ce sujet sans mentionner l'existence du livre de Michel Baranger,
Sur les chemins du Grand Meaulnes (Editions La Simarre),


véritable guide de voyage littéraire, d'une minutie remarquable : qui voudra aller en pèlerinage sur les lieux du Grand Meaulnes (Epineuil-le-Fleuriel et le Bourbonnais, Sologne , Bourges ...) ou d'autres lieux familiers à Alain-Fournier lui-même ( La chapelle d'Angillon et ses environs; ou encore Mirande où il fit son service militaire) pourra le faire à coup sûr muni de cet ouvrage.

jms

(1) Nous avons eu la chance de rencontrer par deux fois Alain Rivière, en 1978 et 1989, dans le cadre de projets scolaires.


A propos du Grand Meaulnes , voir  aussi nos articles :

- Retour au pays du Grand Meaulnes à Epineuil-le-Fleuriel :  bonheur et tristesse.
 http://jmsattoblogazettedesulis.blogspot.com/2012/08/retour-au-pays-du-grand-meaulnesa.html

- Gatsby le Magnifique serait-il un plagiat du Grand Meaulnes?
http://jmsattoblogazettedesulis.blogspot.com/2013/07/gatsby-le-magnifique-serait-il-un.html

- CENTENAIRE du GRAND MEAULNES d'ALAIN-FOURNIER : une  intéressante conférence à Paris du Pr Brunel.
http://jmsattoblogazettedesulis.blogspot.com/2014/01/centenaire-du-grand-meaulnes-dalain.html





























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