J'ai lu le livre de P.Gumbel:"On achève bien les élèves".Compte-rendu...
Je me rappelle Jean Guéhenno,pourtant un grand humaniste,déclarant à la télévision dans les années 70: « Que voulez-vous,les enfants n'ont pas tous les mêmes capacités ».Cet écrivain ne disait-il pas tout haut ce que la plupart des enseignants pensent plus ou moins en leur for intérieur ,et qui concourt -en les déculpabilisant-à l'immobilisme de notre système éducatif depuis des années,roc inattaquable où viennent se briser périodiquement les maigres vagues de la Rénovation?
Il y a les élèves-le plus grand nombre tout de même-qui bénéficient (plus ou moins) du système,et puis il y a ceux qui peinent,qui n'y arrivent pas,à qui l'école renvoie sans cesse d'eux-mêmes une image dévalorisée,et qui de ce fait « ne l'aiment pas ».
En France 4 élèves sur 10 arrivent enb 6e avec de graves lacunes en lecture, écriture, calcul, 130000 jeunes sortent encore du système scolaire chaque année sans diplôme ni qualification....Les enfants d'ouvriers et d'employés ont deux fois moins de chances d'accéder à l'enseignement supérieur que les autres catégories sociales...Les chiffres sont connus.
Peut-on y faire quelque chose?
Certains jugeront que les rénovateurs nous proposent toutes sortes de bouleversements des habitudes scolaires,sans qu'on soit sûr que ce qu'ils préconisent changerait sensiblement la donne. Faut-il prendre le risque,en la « chamboulant », de détruire l'Ecole française,une Ecole à qui on reconnaît souvent un bon niveau, sur le plan intellectuel,et ceci pour une minorité qui n'arrive pas à en tirer profit?
N'est-ce pas là un raisonnement purement élitiste? L'Education nationale ne faillit-elle pas à sa mission en abandonnant finalement à l'échec -et à la souffrance qui y est liée-une part importante des enfants qu'elle accueille?Nous aimons tous les bons élèves,parce qu'ils nous justifient:quel plaisir de constater qu'ils ont pleinement tiré parti de ce que nous leur enseignons. Qui prétendra que nous ne considérons pas souvent ceux qui ont du « mal » au mieux comme des cas désespérés,pour lesquels nous ne pouvons pas grand chose car il faut « avancer le cours » pour les autres,au pire comme une gêne,une entrave à notre enseignement,surtout lorsque certains réagissent à leur situation par des problèmes de comportement...Nous ne voyons alors qu'une seule issue au problème: nous débarrasser d'eux (réorientations,envoi dans un autre établissement...etc...).
On ajoutera que la contrainte du programme, la structure classe avec des élèves nombreux,nous empêchent d'apporter un soutien suffisant à ces élèves. Et puis il faudrait davantage de moyens...Alors tant pis,on continue comme ça.
Mais si,par d'autres méthodes ou dispositifs,l'école pouvait mieux faire pour les plus faibles,sans faire baisser le niveau des meilleurs,le jeu du changement n'en vaudrait-il pas la chandelle?
Des tests comparatifs internationaux:
Dans son livre au titre peut-être un peu trop provocateur: « On achève bien les écoliers »,Peter Gumbel,un journaliste anglais du Times dont les filles sont scolarisées en France,et qui a observé ,médusé,notre système scolaire avec le regard neuf de l'observateur étranger, apporte sur ce dernier point des éléments intéressants.
Des tests comparatifs internationaux ont montré par exemple que les élèves français obtenaient en moyenne en maths des scores plutôt médiocres;les résultats sont bien meilleurs au Canada ,en Australie ou au Pays Bas. Pire encore,cette élite qu'on veut préserver est bien plus maigre dans notre pays que dans d'autres:d'après l'étude PISA 2003,3,5°/° des élèves français atteignent le niveau 6 en maths (le meilleur),contre 9°/° en Belgique,8°/° au Japon ou en Corée;à l'inverse,17°/° de nos élèves ont une moyenne correspondant au niveau 1,le plus faible,contre 7°/° seulement des petits Finlandais,et nous sommes moins bons que la Canada,l'Australie ou l'Islande. On constate les mêmes tendances en Sciences ou en lecture.
Voici qui met à mal la légende de la qualité exceptionnelle de notre enseignement:l'élitisme ne paie pas tant que cela;et ces chiffres montrent surtout que l'ECOLE PEUT effectivement MIEUX FAIRE que ce que nous faisons!Tout ceci a été confirmé par de nombreux autres tests. Cette démonstration étant faite,il serait COUPABLE alors de ne pas chercher les moyens d'améliorer la notre !
Le modèle FINLANDAIS.
Oui,l'école peut mieux faire. Peter Gumbel dans son livre cite l'exemple de la Corée,qui a acquis en peu de temps un système scolaire des plus efficaces,alors que c'est une nation « comptant à l'origine une population largement illettrée,ne possédant pratiquement aucun bâtiment scolaire en 1953 »;ou encore Singapour.
Mais surtout,c'est un autre grand intérêt du livre,l'auteur évoque longuement le cas de l'école finlandaise,la plus performante,et qui a su transformer son système éducatif « à l'origine assez proche de celui de la France d'aujourd'hui ».
Ses principales caractéristiques?
-l'accent est mis sur la formation professionnelle ,pratique (gestion de la classe)des professeurs,pas seulement académique. De plus on leur fait confiance (pas d'inspecteurs) et ils sont bien payés (en moyenne 3300 euros par mois) et respectés.
-une organisation souple,non statique comme en France:soutien individuel intensif par exemple à tel enfant ayant des difficultés de compréhension:un professeur s'occupe de lui individuellement avant qu'il ne rejoigne ses camarades. De plus « les enseignants sont rarement seuls avec leur classe entière. Pour de nombreux cours,d'autres enseignants viennent les aider ».Gumbel cite le cas d'un CP qu'il a visité,où une partie des élèves chante des chansons,tandis qu'une élève « travaille son calcul mental avec un enseignant ».Des élèves en grosses difficulté avec la lecture et l'écriture bénéficient d'un soutien intensif dans ce domaine en petit groupe avant de rejoindre leur classe normale...etc...Autant que possible on privilégie des méthodes actives,plutôt qu'un cours ex cathédra.
-"Nous devons enseigner moins à nos enfants pour qu'ils apprennent davantage":ce principe revendiqué à Singapour est aussi appliqué en Finlande,par exemple dans telle école qui n'a que 20 heures de cours par semaine.
-L'esprit de l'école finlandaise est différent: l'auteur cite l'adjointe au principal d'un collège d'Helsinki: »Nous voulons que tous les élèves apprennent. Donc nous répétons jusqu'à ce que ce soit le cas ».On essaie d'ailleurs d'évaluer l'élève par rapport à lui-même,et non par rapport aux autres: »Quelles compétences ont-ils acquises et lesquelles doivent-ils encore travailler? ».Il ne s'agit pas de « classer » les élèves par la notation comme en France. On supprime même les notes dans certaines écoles,pour éviter cet écueil. Tous les élèves se sentent aidés et encouragés,aucun ne se sent « abandonné ».L'évaluation en Finlande est une aide à la formation et non un outil de sélection.
Résultat:beaucoup plus de bons élèves qu'en France,beaucoup moins de mauvais. L'idée selon laquelle s'occuper des élèves en difficulté pourrait se faire au détriment de l'élite s'effondre!
Le bonheur à l'école,facteur de réussite.
Une autre idée intéressante du livre de P.Grumbel est cette idée que le bonheur à l'école est « un ingrédient clé d'un apprentissage réussi ».Comment y parvenir? En faisant en sorte que l'apprentissage soit un plaisir,par des méthodes actives notamment. En diversifiant les possibilités pour les élèves de se valoriser en leur proposant aussi des activités non intellectuelles comme le sport,la musique,ou toutes sortes d'activités cantonnées jusqu'ici dans la sphère extra scolaire. Car Gumbel ne nie pas que tous les élèves n'ont pas forcément les mêmes capacités,mais il s'agit de le s prendre tous en compte positivement. En leur redonnant confiance surtout par l'attention portée à chacun et les progrès qui en résultent.
Gumbel met vigoureusement en cause le système français,qui stresse les élèves à tous les niveaux: il renvoie constamment ,à travers les procédures d'évaluation,faute d'aide suffisante apportée,ceux qui sont en difficulté à leur « nullité » (pas étonnant que 30°/° des élèves « n'aiment pas l'école »)et les y enfonce. Mais selon Gumbel,même les « bons élèves »-et que dire des « moyens »?- sont stressés par un système de notation traumatisant autant que discutable,qui leur fait souvent perdre confiance en eux,et il y voit une des raisons du fait que l'élite scolaire en France est moins nombreuse que dans d'autres pays.
Toujours est-il que l'exemple de l'école finlandaise est troublant.
Le Nouvel Observateur titrait un peu maladroitement à propos du livre de Gumbel: »le livre que tous les parents devraient lire »;pour quoi faire?Monter les parents contre les enseignants?C'est stérile. Non,je pense que ce sont les enseignants qui devraient le lire,pour affiner leur propre réflexion sur l'école et être peut-être plus réceptifs à une évolution possible. Mais c'est aux autorités de l'Education nationale qu'il incombe de chercher les moyens de faire évoluer le système,car les initiatives individuelles,comme le montre d'ailleurs Gumbel,sont parfois mal ressenties et peuvent déboucher sur un conflit.
A lire:"On achève bien les élèves" de P.Gumbel-Grasset.
Jmsatto: www.jmsattoblogazettedesulis.blogspot.com
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